Galvanisés par les prévisions de tous les spécialistes qui estimaient le phénomène incontournable, de nombreux pharmaciens se sont lancés dans la vente d’objets connectés. Ce qui n’était alors qu’une niche promettait de devenir très rapidement un marché gigantesque, au sein duquel les officinaux avaient bien entendu leur rôle à jouer… et leur part du gâteau à prendre. Aujourd’hui, si les ventes de ces dispositifs restent somme toute dynamiques, ce sont surtout les grandes market places du Net, comme Amazon, ou les magasins spécialisés dans le high-tech, comme la Fnac, qui en tirent tous les bénéfices, au nez et à la barbe des pharmaciens.
Déception
Parmi les premiers à intégrer ces objets connectés à son catalogue dès la fin 2015, le groupe PHR Référence avait à l’époque conçu des corners spécifiques pour les officines de l’enseigne qui souhaitaient s’engager sur cette voie. Plus de deux ans après, le verdict est sans appel : « Le résultat est presque catastrophique », déclare ouvertement le président du groupement, Lucien Bennatan, qui ajoute que les pharmaciens en question « ont eu toutes les peines du monde à vendre ces produits ». Même constat amer pour ce pharmacien qui exerce en Île-de-France et qui a souhaité conserver l’anonymat : « La sauce n’a pas pris et je me suis retrouvé avec un stock important d’objets connectés invendus sur les bras dont je considère que le prix est encore trop important pour le marché. La seule référence que je continue de commercialiser est le capteur-lecteur de glycémie d’Abbott, même si ça ne me rapporte presque rien et qu’il y a eu ces problèmes d’approvisionnement que tous les pharmaciens ont rencontrés. » Du côté des fabricants, le réseau des officines avait initialement été identifié comme prioritaire dans la stratégie de vente en raison de son appartenance au système de santé, en parfaite adéquation avec la nature de ces produits. À présent, l’analyse n’est plus tout à fait la même. Si les leaders de ce marché n’ont pas renoncé à travailler avec les pharmaciens, ils ont scellé d’autres partenariats de distribution qui leur sont pour le moment plus profitables.
Au fil du temps et de l’expérience partagée, il semble donc que la relation entre l’officine et les fabricants se soit distendue. Les raisons invoquées pour expliquer ce qui s’apparente à un flop sont multiples, mais essentiellement de deux ordres : un problème de perception par le public de ces objets connectés, dont une partie de la gamme n’est pas forcément en adéquation avec le reste de l’offre produits en pharmacie, et un autre, découlant du premier, qui relève de leur intégration dans notre système de santé.
Un problème d’image
Comme le rappelle Alexis Normand, en charge du développement santé chez Withings, « le gros du marché français est tiré par les montres et balances connectées », deux produits qui sont spontanément associés à la notion de bien-être plutôt qu’à celle de la santé. Lucien Bennatan parle quant à lui de « produits dont la durée de vie est extrêmement réduite » parce qu’ils s’inscrivent plus « dans une dynamique de consommation spontanée liée à des phénomènes de mode que dans une démarche de prise en charge de la santé par les professionnels ». Associés à la population des « geeks » hyperconnectés plutôt qu’à celle des patients chroniques, ces objets n’ont, pour la plupart d’entre eux, pas encore acquis toute la dimension sanitaire qui est pourtant la leur. C’est pour cette raison que les acteurs du marché confirment les difficultés qu’ont les officinaux à vendre ces produits. L’un d’entre eux, qui a tenu à garder l’anonymat, préfère d’ailleurs parler de « dispositifs médicaux (DM) connectés plutôt que d’objets connectés ». Il est persuadé qu’il faut présenter ces produits comme « des DM classiques extrêmement fiables dont la particularité supplémentaire est d’être connectables », plutôt que de tout miser sur l’aspect high-tech qui ne fait que brouiller leur image.
Trouver le bon modèle
À l’instar de Lucien Bennatan qui considère que « le marché en officine ne pourra démarrer que lorsque l’on trouvera un modèle intégré dans le parcours de soins du patient, assorti d’un remboursement », Alexis Normand voit bien « les pharmaciens prendre part à des programmes de coaching tels que ceux développés aux États-Unis par certains assureurs pour la prévention du diabète et qui impliquent l’utilisation d’objets connectés ». C’est d’ailleurs une vision que partage notre pharmacien francilien en déclarant que ce marché n’aura d’avenir en officine que « si la démarche est entièrement construite au profit du patient dans un réseau de prise en charge efficace ». Plutôt que de parler d’immaturité du marché, les acteurs préfèrent donc évoquer une inadéquation de l’offre vis-à-vis des besoins et attentes de la clientèle des officines pour expliquer les ratés à l’allumage. Rien n’est donc perdu et tous ont l’intime conviction que la dynamique est à une plus grande utilisation de ces dispositifs et restent persuadés que les pharmaciens auront leur rôle à jouer. L’un d’eux va plus loin et pense même que tout miser sur les grandes surfaces pour vendre ces produits n’est au final pas la bonne stratégie car cela « n’apporte aucune valeur ajoutée » et constitue « le meilleur moyen de dévaluer l’image d’une marque qui évolue dans le champ de la santé ». Outre qu’elle s’inscrit dans le contexte des combats menés par les pharmaciens contre la grande distribution, cette réflexion rappelle l’importance de confier la vente d’objets de santé, connectés ou non, à des professionnels… de santé.