Mais que fait donc l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ? Commercialisées à tort et à travers depuis les années 1970, les spécialités à base de ginkgo biloba non associé ne sont plus seulement d’une efficacité relative – voire nulle – mais exposent à des troubles digestifs, des réactions cutanées d’hypersensibilité et, pire, à des hémorragies. Pourtant, le Tanakan, pour ne citer que la tête de gondole de ces spécialités, occupe toujours le marché avec la bénédiction des autorités sanitaires.
Zéro pointé
Ce n’est pas faute d’avoir une commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) qui, depuis 2011, ne cesse de pointer du doigt la balance bénéfices/risques défavorable de produits dont le service médical rendu est déjà taxé d’insuffisant. Quatre de leurs cinq indications furent à l’époque sévèrement critiquées : la claudication intermittente, le traitement d’appoint des baisses d’acuité et troubles du champ visuel, celui des baisses d’acuité auditive et de certains syndromes vertigineux, et le syndrome de Raynaud. Lancée dans une réévaluation des bénéfices et risques de ces spécialités, la commission d’AMM était claire : « absence d’efficacité », « données insuffisantes », voire « absence totale de données », « faible qualité méthodologique des essais » et même une étude manquante dans le dossier du laboratoire, Ipsen Pharma ! La cinquième indication, portant sur le traitement d’appoint à visée symptomatique du déficit pathologique cognitif neurosensoriel chronique du sujet âgé, devait elle aussi être retirée, « l’efficacité du ginkgo [n’étant] pas démontrée dans les déficits pathologiques cognitifs ni dans la démence, et non plus dans la prévention de la survenue de la démence ». Sauf que l’industriel a droit à ce qui s’appelle une procédure contradictoire, au cours de laquelle il peut présenter ses observations. Et Ipsen a alors accepté d’abandonner les quatre premières indications, mais proposé de conserver la cinquième, en la modifiant.
Confirmation
Sa suggestion a été de libeller désormais l’indication en ces termes : « Traitement symptomatique des troubles cognitifs du sujet âgé, à l’exception des patients atteints de démence confirmée, de maladie de Parkinson, de troubles cognitifs iatrogènes ou secondaires à une dépression ou des désordres métaboliques. » En bref, de faire disparaître le terme « pathologique ». Pour ce faire, Ipsen présente une nouvelle étude dont la commission d’AMM, en 2012, affirmera également qu’elle est insuffisante. L’un des membres de ladite commission ira jusqu’à souligner que ce nouveau libellé « est une ouverture fantastique, c’est-à-dire que tout le monde peut en prendre ». En outre, « sujet âgé, on ne sait pas ce que c’est ». Un autre membre estime « que l’on n’a strictement aucun argument scientifique pour penser que le Tanakan a un effet favorable sur les fonctions cognitives ». Un nouvel avis défavorable fut rendu, cette fois à l’unanimité, signifiant un avis défavorable au maintien sur le marché.
Laissez-passer
Mais, à l’époque, le directeur général de l’ANSM n’en a eu cure et les résumés des caractéristiques des produits Tanakan, Ginkogink, Tramisal (Ipsen) et Vitalogink (Mylan) ont été modifiés en 2013, arborant leur toute nouvelle indication. L’explication réside-t-elle dans cet autre verbatim extrait de la réunion de la commission d’AMM du 14 juin 2012 ? Après que l’un de ses membres se soit interrogé sur le caractère atypique de cette procédure contradictoire, il lui fut répondu : « On a laissé entrouverte la porte au laboratoire, en disant : “Écoutez, vous nous proposez ça. On le fera passer en commission d’AMM, et voilà.“ Il est vrai que dans le cas habituel, on clôt la procédure. » Pas cette fois… Et tandis que les études – sérieuses et étayées, elles – se bousculent dans les plus grandes revues scientifiques pour démontrer que le ginkgo biloba est sans intérêt dans la prévention ou le traitement de la démence, ni sur le déclin cognitif, on découvre des cas d’hémorragies (voir Notabene ci-dessous), qui commençaient à interpeller la commission d’AMM en 2011. « Dans au moins un tiers de ces hémorragies, la prise de ginkgo biloba était accompagnée de celle d’un anticoagulant ou d’une substance ayant des propriétés antiagrégantes plaquettaires (aspirine, ibuprofène) », indique la revue Prescrire. Un placebo mérite-t-il réellement cette peine ?