French pharmacy, oh là là ! « Si vous êtes déjà entré dans une pharmacie française, vous voyez ce que je veux dire : elles sont nettement mieux que nos drugstores américains. » Ce n’est pas l’Ordre des pharmaciens américains qui parle mais une blogueuse mode, nommée Byrdie, qui vante avec force compliments les mérites de vos rayonnages. Et elle n’est pas un cas isolé, à lire la bible des fashionistas, le magazine américain Vogue : « La pharmacie française est légendaire. Bien sûr les New-Yorkais ont Duane Reade [une grande chaîne américaine de pharmacies, NDLR] et les Londoniens ont Boots, mais il y a quelque chose de magique à arpenter les allées de Les Pharmacies [en français dans le texte, NDLR], la plupart du temps reconnaissables à leur croix en néon vert suspendue au-dessus de leur pas-de-porte. »
Homéoplasmine, my love
Mais ce que les New-Yorkaises désirent plus que tout, ce ne sont pas les entretiens pharmaceutiques ou la délivrance d’un kit de pansements anti-escarres, non. Les vrais trésors de vos rayons sont l’Homéoplasmine, la Biafine… autant d’onguents que la globalisation n’a pas emportés au-delà de nos frontières et qui rendent l’officine made in France « so chic ». Vogue renchérit : « Les pharmaciens français sont des puits de science… si vous vous rappelez de vos notions de français glanées à la fac. » Caricatural ? Of course. « Les Américains ou les Anglais sont habitués aux grosses pharmacies orientées drugstores, ils ont donc une vision très romantique de l’officine à la française. Les pharmacies Walgreens sont grandes comme des Monoprix, donc même si la pharmacie est très grande [comparé aux standards français, NDLR], elle [leur] paraîtra petite, assure Guillaume Nebout, Head of International Professional Services chez le géant américano-anglais Walgreens Boots Alliance.
« Les pharmaciens
français sont parmi
les mieux formés
du monde. On dirait
qu’ils l’ont oublié. »
Rappelons que dans les pharmacies anglaises ou américaines, ils ont des barres de chocolat, du Coca-Cola. En termes d’expertise, les professionnels américains ne sont pas au niveau des Français », ajoute-t-il. Megan Coder, pharmacienne et Senior Director of Industry Programs dans un syndicat professionnel américain, ne dit pas autre chose quand elle se rappelle, un brin admirative, « avoir été étonnée par le niveau de formation que les pharmaciens et préparateurs doivent avoir atteint avant de pouvoir exercer en pharmacie. Seuls les plus méritants sont autorisés à exercer la profession : de plus, une fois le parcours professionnel choisi, les gens y restent fidèles ». Voilà qui pourrait mettre du baume au cœur d’une profession qui s’autoflagelle plus que de raison. Les pharmaciens sont en effet les professionnels de santé les plus pessimistes, comme l’a confirmé le panel CMV Médiforce en 2014 et 2015, à peu près à égalité avec les chirurgiens-dentistes et les biologistes. Soit précisément le trio de tête des professions de santé les plus aisées financièrement. Paradoxe…
Un modèle pour ses pairs
Autres pays, autres mœurs : la « déclinologie », cet art de voir tout en noir bien français, n’a pas cours à l’étranger quand il s’agit des officines hexagonales. Jugez plutôt : « La pharmacie française est l’une des plus innovantes et efficaces en Europe. Des initiatives comme le dossier pharmaceutique sont souvent citées en exemple, voire copiées dans d’autres pays. Les entretiens pharmaceutiques pour les anticoagulants en sont un autre exemple », constate ainsi Jūratė Švarcaitė, la nouvelle secrétaire générale du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne (GPUE), le lobby des pharmaciens au niveau européen. « Oui, je pense que la pharmacie française est moderne. Dans celle où j’ai exercé, il y avait un robot dispensateur de médicaments ! », ajoute Iria Santodomingo, étudiante en pharmacie à l’université de Salamanque, en Espagne. De fait, les pharmacies françaises ont un niveau d’équipement en informatique ou en robots dispensateurs qui n’a rien à envier à beaucoup de leurs voisins, à part les Allemands, eux aussi très « robotisés ».
« Il y a quelque
chose de magique
à arpenter les allées
de Les Pharmacies. »
« Les pharmacies françaises sont très propres, très blanches et modernes, plus proches d’un Sephora que les pharmacies anglaises. Les officines anglaises font plus épicerie, plus drugstore », remarque Guillaume Nebout. « La France a été leader international pour le dossier pharmaceutique mais aussi pour les entretiens pharmaceutiques sur les anticoagulants, confirme Luc Besançon, directeur général de la Fédération internationale pharmaceutique (FIP). Concernant la réforme de leur rémunération, la France est plutôt dans le milieu du peloton. Certains pays ont commencé beaucoup plus tôt, comme la Suisse, le Royaume-Uni ou le Portugal, et sont allés beaucoup plus loin. » Moderne, entretenue, avant-gardiste… il lui manque pourtant un « je-ne-sais-quoi » professionnel pour passer le cap. Alors les pharmaciens français sont-ils trop conservateurs ? Oui, mais parfois malgré eux. La vaccination à l’officine a par exemple été repoussée sine die par le gouvernement sous pression des médecins lors de l’examen de la loi Touraine en mars dernier. Or, l’acte de piquer est certainement ce qui sépare une pharmacie avancée d’une pharmacie « à la papa », tant le geste est chargé symboliquement. Vacciner nécessite de plus un aménagement spécifique sous forme d’un espace de confidentialité, un effort que n’ont pas encore fourni en masse les pharmaciens français, seulement tenus à ce que la « dispensation des médicaments s’effectue dans des conditions de confidentialité permettant la tenue d’une conversation à l’abri des tiers ». À titre de comparaison, 75 % des pharmacies du réseau Alphega – plus équipé que la moyenne nationale – en France, Italie, Espagne en possèdent un. Au Royaume-Uni, pays souvent montré en exemple et qui a directement inspiré la réforme des honoraires menée en France, la proportion monte à 97 % !
Frères ennemis
La faute aussi à des relations orageuses entre pharmaciens et médecins avec, au milieu du champ de bataille, le sacro-saint accès au patient. Dépister des chlamydiae comme au Royaume-Uni où les patients peuvent acheter un kit à la pharmacie, l’y ramener, puis se voir prescrire des antibiotiques au comptoir qui seront ensuite remboursés ?
Poser des holters pour surveiller l’activité cardiaque comme en Italie ? Impensable en France. « Comme en Allemagne, souvent, les médecins français et les pharmaciens ne s’entendent pas bien, témoigne Magdalena Schmied, une étudiante en pharmacie allemande qui a exercé un temps à Grenoble. C’est aussi la raison pour laquelle on ne veut pas donner beaucoup de responsabilités aux pharmaciens. De nombreux médecins ont peut-être peur d’être remplacés dans certains domaines. » De fait, « il y a des pays où l’interprofessionnalité est plus facile, concède Guillaume Nebout. Au Royaume-Uni, le paiement per capita [les médecins sont payés pour chaque patient et non pour chaque consultation, NDLR] change la donne. Si le prestige est toujours plus du côté du médecin prescripteur que du dispensateur, les choses s’équilibreront, voire s’inverseront à l’avenir. Avec tous les algorithmes, la médecine se protocolise de plus en plus ». Et la suprématie intellectuelle liée au diagnostic diminue d’autant. Mais ce mouvement d’Evidence-Based Medicine, très en vogue dans les pays anglo-saxons, n’a pas encore atteint la France, où le médecin reste l’alpha et l’oméga du système de santé… et le pharmacien seul maître à l’officine.
Le grand fossé
Cette grande césure entre diplômes n’existe pas qu’entre médecins et pharmaciens. Les préparateurs connaissent ainsi un plafond de verre professionnel, qui leur interdit totalement l’accès aux nouvelles missions ou à des dispensations simples, malgré des carrières très longues. « Aux États-Unis, bien que de nombreux technicians [l’équivalent des préparateurs français, NDLR] travaillent toute leur vie en pharmacie, il y a un turnover élevé, détaille Megan Coder. Cela dépend des États, mais il y a peu de barrières réglementaires ou académiques pour travailler en pharmacie […]. Un nombre conséquent de technicians décident tous les ans de devenir pharmaciens. Tant et si bien que même si pharmaciens et technicians sont bien différenciés sur le lieu de travail, les populations ne sont pas complètement distinctes. »
Pharmaciens, médecins… le combat est-il à jamais déséquilibré ? Non. Dans un classement sur la confiance des consommateurs, où pensez-vous qu’arrivent les pharmaciens selon l’étude Readers Digest Trusted Brand de 2013, menée dans douze pays (Belgique, République tchèque, France, Allemagne, Portugal…) ? Réponse : quatrième, avec 80 % de confiance, juste derrière les pompiers (92 %), les pilotes de ligne (86 %) et les infirmiers (82 %) et… juste devant les médecins, avec 76 % de confiance exprimée.
« La guerre des prix
entre pharmaciens
est atroce en France. »
Insoupçonnable vu de l’Hexagone pour une profession qui n’a pas encore su s’extirper d’une image de commerçant qui lui colle à la peau depuis des siècles. Il faut dire qu’alors que plus des trois quarts du chiffre d’affaires provient de médicaments remboursables, l’écrasante majorité des linéaires à la vue des patients proposent de la dermocosmétique, des compléments alimentaires hétéroclites et, plus récemment, de l’OTC en libre accès, ce qui contribue à abaisser les barrières entre le médicament… et ce qui ne l’est pas. « Mon impression personnelle est que beaucoup de ventes se font avec des produits qui ne sont pas directement des médicaments, comme de la dermocosmétique. C’est plus le cas en France que dans d’autres pays, en tout cas plus qu’au Portugal. Je pense que cela a un impact sur la confiance des patients ; les pharmaciens doivent être très prudents avec ce genre de produits pour qu’ils soient compatibles avec leur image professionnelle », analyse Ema Paulino, pharmacienne titulaire à Lisbonne et secrétaire professionnelle de la FIP. « Aux États-Unis, il existe une barrière physique entre le drugstore et la pharmacie [elle est appelée “plancher” au Canada, NDLR] », témoignait ainsi dans nos colonnes le Pharmachien, surnom d’Olivier Bernard, un potard québécois très connu dans la Belle Province (voir Le Pharmacien de France, no 1272). Et cette barrière crée une séparation plus nette entre les produits… et les conseils afférents. « Il arrive fréquemment que les patients souhaitent acheter plus de produits que nous ne voulons leur en vendre ; mon travail consiste alors en priorité à leur expliquer comment se passer de médicaments », poursuivait-il. Pour le Français moyen, le pharmacien gagne en effet sa vie grâce à ses ventes en OTC et en parapharmacie. Faux économiquement, bien sûr, mais le malentendu persiste sur fond de suspicion de rente de situation : « La guerre des prix entre pharmaciens est atroce en France ; c’est plus le cas que dans d’autres pays, comme la Belgique, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. Certaines enseignes tirent les prix vers le bas », remarque Jérôme Gobbesso, Chief Operating Officer pour le site belge de vente par correspondance de parapharmacie Newpharma.fr.
Destruction créatrice
Fière de son modèle et prompte à le défendre contre toutes les attaques libérales, la France n’aurait-elle pas encore ôté ses œillères ? Un coup d’œil vers l’Europe suffit pour constater que la vente d’OTC par correspondance dans l’Hexagone est déjà possible… « Les pharmaciens français sont parmi les mieux formés du monde. On dirait qu’ils l’ont oublié. Les pharmaciens anglais ont vécu une crise sous Thatcher, qui a raboté les dépenses de santé, et ils en gardent un très mauvais souvenir. Pour résister, qu’ont-ils fait ? Du service », conclut Guillaume Nebout. Alors, à quand la révolution française ?