Formulaire de recherche

Nicolas Revel - directeur de l'Assurance maladie

« L’exercice isolé sera une exception »

Le directeur général de l’Assurance maladie gère depuis quatre ans les relations conventionnelles avec les pharmaciens. Au moment où la coordination devient l’alpha et l’oméga du soin, il s’inquiète notamment du retard pris sur les bilans de médication.

Par Laurent SimonPhotographe Nicolas Kovarik

BioExpress

Conseiller maître à la Cour des comptes
et énarque, Nicolas Revel a fréquenté
les arcanes du pouvoir politique avant de
rejoindre la tête de l’Assurance maladie
il y a quatre ans. Ce haut fonctionnaire,
fils de Jean-François Revel et de
Claude Sarraute, a déjà eu une carrière
bien remplie à l’Élysée ou à la
Mairie de Paris.

  • Depuis novembre 2014 : directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie.
  • 2012-2014 : secrétaire général adjoint de l’Élysée sous la présidence de François Hollande.
  • 2008 : directeur de cabinet
    de Bertrand Delanoë à la Mairie
    de Paris.
  • 1991-1993 : élève à l’École nationale d’administration (ENA).
  • 1990 : agrégation de l’enseignement supérieur.

 

L’ac­cord-cadre in­ter­pro­fes­sion­nel (Acip), si­gné il y a quelques jours, est-il le pre­mier étage de la fu­sée du plan « Ma santé 2022 » ? Com­ment al­lez vous rendre la co­or­di­na­tion des soins in­con­tour­nable dans les an­nées à ve­nir ?

Au com­men­ce­ment, il y a un consen­sus : l’amé­lio­ra­tion du sys­tème de santé passe par un exer­cice plus co­or­donné des pro­fes­sion­nels de ville. C’est le préa­lable pour amé­lio­rer la prise en charge des pa­tients et les condi­tions d’exer­cice des pro­fes­sion­nels. Ce point ne fait plus dé­bat au­jour­d’hui. Il reste main­te­nant à pas­ser d’une in­ten­tion à une réa­lité dans les or­ga­ni­sa­tions et les pra­tiques. C’est en ef­fet l’en­jeu de la stra­té­gie an­non­cée par le pré­sident de la Ré­pu­blique le 18 sep­tembre der­nier [lors de la pré­sen­ta­tion du plan « Ma santé 2022 », NDLR]. Cela sup­pose de faire bou­ger un cer­tain nombre d’or­ga­ni­sa­tions et de struc­tures, et de le faire vite.

Plus concrè­te­ment, tra­vailler en co­or­di­na­tion sera-t-il un jour rendu obli­ga­toire d’une ma­nière ou d’une autre ?

Je pré­fère la convic­tion à l’obli­ga­tion. Nous trans­for­me­rons le sys­tème avec les pro­fes­sion­nels et pas contre eux, par des mo­dèles im­po­sés. L’Acip pose un prin­cipe et une am­bi­tion : la gé­né­ra­li­sa­tion de l’exer­cice co­or­donné. Il faut main­te­nant créer une dy­na­mique mais aussi un cadre éco­no­mique pro­pice. Un mé­de­cin, un phar­ma­cien ou un autre pro­fes­sion­nel de santé doit-il être ré­mu­néré de la même ma­nière se­lon qu’il exerce de ma­nière iso­lée ou co­or­don­née ? Je ne le crois pas. Le dis­cours du pré­sident de la Ré­pu­blique nous in­vite clai­re­ment à in­tro­duire une vraie dif­fé­ren­cia­tion. Un tel le­vier se­rait plus ef­fi­cace et plus lé­gi­time que ce­lui de la coer­ci­tion. Mais, au fi­nal, nous de­vons faire bou­ger les pra­tiques de telle sorte que l’exer­cice isolé de­vienne une ex­cep­tion.

La co­or­di­na­tion ne peut se pas­ser d’ou­tils, dont le dos­sier mé­di­cal par­tagé (DMP). Où en est ce chan­tier et qu’at­ten­dez-vous des phar­ma­ciens pour son dé­ve­lop­pe­ment ?

Le DMP doit de­ve­nir une réa­lité quo­ti­dienne pour les Fran­çais dans les pro­chaines an­nées. Qua­rante mil­lions de DMP ou­verts d’ici à cinq ans, c’est l’ob­jec­tif que j’ai fixé à mes équipes. Pour y par­ve­nir, il faut que l’ou­ver­ture d’un DMP soit simple.

« Nous sommes loin
des ob­jec­tifs sur les
bi­lans de mé­di­ca­tion,
le dé­ca­lage est
pré­oc­cu­pant. »

Au­pa­ra­vant, seuls les mé­de­cins pou­vaient en ou­vrir. J’ai sou­haité que le ré­seau of­fi­ci­nal puisse éga­le­ment le faire, comme il l’a fait avec le dos­sier phar­ma­ceu­tique (DP). Le ré­seau s’équipe au mo­ment où nous par­lons et nous de­vrions avoir 7 000 of­fi­cines ca­pables de créer des DMP à fin oc­tobre [l’in­ter­view a eu lieu le 16 oc­tobre der­nier, NDLR]. Ce chiffre aug­mente de 200 chaque jour et toutes de­vront pou­voir le faire sous peu. À terme, il ne se­rait pas éton­nant que 50 % des DMP soient ou­verts par les phar­ma­ciens, même si ce n’est qu’une es­ti­ma­tion.

On a donc fini de se mo­quer du DMP !

C’est vrai qu’il y a deux ans c’était un su­jet de mo­que­rie mais, de­puis, les es­prits ont évo­lué. Une ma­jo­rité d’ac­teurs pensent au­jour­d’hui que le DMP ré­pond à un vrai be­soin : l’ac­cès à l’in­for­ma­tion pour les pa­tients et la co­or­di­na­tion des prises en charge pour les pro­fes­sion­nels de santé.

Autre vaste chan­tier : une fois dé­ma­té­ria­li­sées, l’As­su­rance ma­la­die va-t-elle contrô­ler les pres­crip­tions des mé­de­cins avant qu’elles soient dé­li­vrées aux pa­tients en phar­ma­cie ?

Nous en­ten­dons res­pec­ter stric­te­ment la li­berté de pres­crip­tion. Les pres­crip­tions tran­si­te­ront par une base dis­tincte du DMP, même si, de fait, nous la gé­re­rons aussi : ce qui nous a été de­mandé est qu’une or­don­nance ne puisse être ni contrô­lée ni mo­di­fiée, ni même stop­pée par l’As­su­rance ma­la­die en amont de son exé­cu­tion. En re­vanche, après la dé­li­vrance, nous se­rons en ca­pa­cité de faire des contrôles en rap­pro­chant la dis­pen­sa­tion de la pres­crip­tion qui l’ac­com­pagne. Ce qui per­met­tra de fia­bi­li­ser dès l’ori­gine la fac­tu­ra­tion et de ré­duire le nombre des in­dus qui sont des ten­sions entre les caisses et le ré­seau of­fi­ci­nal.

Sur­tout quand un phar­ma­cien se voit re­je­ter un mé­di­ca­ment à 5 000 ou 10 000 eu­ros…

Et que l’indu porte sur la to­ta­lité du prix de la boîte et non seule­ment sur sa marge, ef­fec­ti­ve­ment. Il y aura tou­jours, par dé­fi­ni­tion, des in­dus mais nous vou­lons les ré­duire for­te­ment. De la même ma­nière, nous vou­lons per­mettre aux phar­ma­ciens de vé­ri­fier en temps réel la va­li­dité des droits des as­su­rés, ce qui de­vient pos­sible au­jour­d’hui grâce à ADRI [ac­qui­si­tion des droits in­té­grés, NDLR].

Pas­sons à la sub­sti­tu­tion : rem­bour­ser les prin­ceps sur la base de leur gé­né­rique et faire payer au pa­tient la dif­fé­rence ou res­treindre le re­cours à la men­tion « Non sub­sti­tuable » comme le pré­voit pour 2020 le pro­jet de loi de fi­nan­ce­ment de la sé­cu­rité so­ciale ne sera-t-il pas contre-pro­duc­tif à terme ?

J’en­tends les ré­serves que sus­cite cette me­sure mais il faut com­prendre pour­quoi elle est en­vi­sa­gée. Nous sommes au bout d’un cycle sur le dé­ve­lop­pe­ment des gé­né­riques avec des ré­sul­tats qui pla­fonnent et un nombre trop im­por­tant d’or­don­nances por­tant la men­tion « Non sub­sti­tuable » (« NS ») – 8 % au­jour­d’hui –, et qui a été mul­ti­plié par quatre en six ans.

« Les men­tions
“Non sub­sti­tuable”
ont qua­dru­plé
en six ans ! »

Au fi­nal, la part du gé­né­rique en France en vo­lume est très in­fé­rieure à celle de nos voi­sins, comme l’An­gle­terre ou les Pays-Bas. Il est in­dis­pen­sable de pro­gres­ser et cette dis­po­si­tion a pour ob­jec­tif de mieux jus­ti­fier mé­di­ca­le­ment la men­tion « NS » sur les or­don­nances. On peut dou­ter que la mul­ti­pli­ca­tion ré­cente des « NS » soit le seul fruit de rai­sons mé­di­cales. En Al­le­magne, la me­sure fonc­tionne et ne fait plus dé­bat de­puis long­temps. Au­jour­d’hui, nous sommes en re­tard sur le gé­né­rique. Si les pro­fes­sion­nels ont d’autres pro­po­si­tions pour y par­ve­nir, c’est le mo­ment. Car les marges de pro­gres­sion ré­sident lar­ge­ment dans leurs ha­bi­tudes de pres­crip­tion. Le Ré­per­toire des gé­né­riques n’est en ef­fet pas si étroit qu’on le dit en France, sans at­tendre son ex­ten­sion dans les deux ans aux mé­di­ca­ments in­ha­lés. Les mé­de­cins fran­çais pres­crivent moins de mé­di­ca­ments sub­sti­tuables que leurs confrères étran­gers.

Les bi­lans de mé­di­ca­tion ont été mis en place il y a quelques mois. Les pre­miers chiffres ne sont pas très en­cou­ra­geants, quelles en sont les rai­sons ?

Nous sommes en ef­fet loin des ob­jec­tifs – 400 000 bi­lans avant la fin de l’an­née – que nous nous étions fixés. Ac­tuel­le­ment, 15 000 pa­tients sont concer­nés et moins de 2 000 of­fi­cines sont en­ga­gées. La ques­tion n’est plus de sa­voir si l’ob­jec­tif sera res­pecté. Le dé­ca­lage est pré­oc­cu­pant.

Quand ti­re­rez-vous les pre­mières conclu­sions de la mise en place de ces bi­lans ?

Même si je suis in­quiet, je pense qu’il est trop tôt pour ti­rer un bi­lan dès main­te­nant. At­ten­dons la fin du pre­mier se­mestre 2019. J’es­père que nous au­rons d’ici là une vraie mon­tée en charge. Nous avons construit ces bi­lans en par­te­na­riat avec les syn­di­cats de phar­ma­ciens ; ils sont im­por­tants pour le suivi et la lutte contre la ia­tro­gé­nie. Si la for­mule de­vait ne pas fonc­tion­ner, il fau­drait alors s’in­ter­ro­ger sur l’en­ga­ge­ment du ré­seau of­fi­ci­nal dans ce type d’ac­com­pa­gne­ment. Ce se­rait un échec col­lec­tif. Mais nous n’en sommes pas en­core là.

Faut-il, à terme, faire conver­ger les en­tre­tiens phar­ma­ceu­tiques et les bi­lans de mé­di­ca­tion en un seul et même type d’ac­com­pa­gne­ment, se­lon vous ?

Les en­tre­tiens phar­ma­ceu­tiques et les bi­lans de mé­di­ca­tion ont, certes, des liens de cou­si­nage entre eux mais ils sont dif­fé­rents. Ils ont donc vo­ca­tion à per­du­rer dis­tinc­te­ment. De plus, il faut sta­bi­li­ser les choses : si l’on mo­di­fie les for­mules tous les ans, il de­vien­dra im­pos­sible pour les phar­ma­ciens de s’y re­trou­ver.

© Le Pharmacien de France - 2025 - Tous droits réservés

Hy-phen-a-tion