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François Chast - AP-HP

« Moi aussi, je suis allé à la soupe »

Le Mediator bouge encore ! Cinq ans après l’éclosion du scandale, le « manifeste des 30 », dont François Chast est l’un des signataires, dénonce toujours les agissements des laboratoires Servier. Interview sans concession d’un champion de la transparence.

Par Laurent SimonPhotographe Miguel Medina

BioExpress

Pharmacien hospitalier, François Chast a tout du « mandarin » traditionnel, comme en témoignent ses fonctions de chef de service de pharmacie clinique dans deux centres hospitaliers universitaires parisiens ou ses multiples portefeuilles institutionnels. Pourtant, après avoir longtemps collaboré avec l’industrie pharmaceutique, il a choisi l’indépendance depuis une douzaine d’années et a fait sien des combats comme celui d’Avastin/Lucentis ou la réhabilitation de la vaccination.

  • Depuis 2015 : président du Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française (Cespharm).
  • Depuis 2013 : membre du conseil scientifique de la CNAMTS.
  • 2010 : président de l’Académie nationale de pharmacie, après en avoir été vice-président en 2009.
  •  2005 -2009 : membre du conseil scientifique de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT).
  • 1992-1998 : membre de la commission nationale de pharmacovigilance.

Phi­lippe Even épin­glé pour ses liens avec l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique après avoir pour­fendu les conflits d’in­té­rêts, ça vous ins­pire quoi ?

Je ne connais pas le fond de cette af­faire mais, qu’il s‘agisse de Phi­lippe Even ou d’autres, l’idée n’est pas de tra­quer des per­sonnes mais de ré­veiller des consciences. Quelles in­fluences ces conflits d’in­té­rêts peuvent-ils avoir sur nos pra­tiques pro­fes­sion­nelles ou nos dé­ci­sions de soins, ou même sur l’en­sei­gne­ment ? N’y a-t-il pas cer­taines si­tua­tions aux­quelles il faut mettre un terme ?

Votre seul conflit d’in­té­rêts dé­claré est avec une start-up suisse, dont vous êtes membre du co­mité de sur­veillance et de suivi. Est-ce par choix ?

Cela fait une dou­zaine d’an­nées que j’ai coupé les ponts avec l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique. Moi aussi je suis « allé à la soupe », donc je sais qu’il n’y a pas d’un côté les bons et de l’autre les mé­chants, mais j’ai as­sez tar­di­ve­ment com­pris que ma pra­tique pro­fes­sion­nelle pou­vait se pas­ser de ces liens très puis­sants et aussi très sé­dui­sants. Quand l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique vous nomme à un board, vous en­voie à un congrès ou vous pro­pose d’être ora­teur avec des dia­po­si­tives déjà prêtes, tout cela est flat­teur et ré­mu­né­ra­teur… Ma prise de conscience re­monte à bien avant l’af­faire du Me­dia­tor, un mé­di­ca­ment qu’en tant que phar­ma­cien hos­pi­ta­lier je n’ai ja­mais acheté mais que je n’ai pas dé­noncé non plus. Ayant fait par­tie d’un conseil scien­ti­fique ré­puté in­dé­pen­dant mais en réa­lité lié à un in­dus­triel, je me suis in­ter­rogé sur la rai­son qui pous­sait cet in­dus­triel à prô­ner une po­so­lo­gie 25 % su­pé­rieure à celle qui me pa­rais­sait la mieux adap­tée. À par­tir de ce mo­ment-là, j’ai consi­déré qu’il était rai­son­nable d’ar­rê­ter. Et, deux ans après avoir été sol­li­cité pour de­ve­nir juré du prix Ga­lien [ce prix, créé il y a qua­rante-cinq ans, vise à ré­com­pen­ser les in­no­va­tions thé­ra­peu­tiques, NDLR], j’ai éga­le­ment quitté cette po­si­tion pour les mêmes rai­sons.

Pour­tant, im­pos­sible de se pas­ser des in­dus­triels… Alors, que pré­co­ni­sez-vous ?

L’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique est consti­tuée d’en­tre­prises dont l’ob­jec­tif consiste à fa­bri­quer des mé­di­ca­ments grâce à des ca­pi­taux pri­vés et qui a vo­ca­tion à faire du pro­fit. C’est lo­gique, nous sommes dans une éco­no­mie li­bé­rale qui leur a confié ce rôle. Qu’il y ait des dé­rives dans l’in­dus­trie est une chose, mais que des ins­ti­tu­tions ou des hauts fonc­tion­naires de­viennent com­plices d’un déni de vé­rité scien­ti­fique, cette col­lu­sion glo­bale me choque. J’ai vu un jour le pré­sident-di­rec­teur gé­né­ral d’un grand la­bo­ra­toire phar­ma­ceu­tique fran­çais apos­tro­pher le mi­nistre de la Santé d’un geste fa­mi­lier du doigt, geste que je n’ose­rais même pas faire à l’égard de l’un de mes in­ternes.

Vous êtes le seul phar­ma­cien si­gna­taire du « ma­ni­feste des 30 », qui in­vite à rompre tout lien avec Ser­vier. Pen­sez-vous que la pro­fes­sion est suf­fi­sam­ment im­pli­quée dans ce com­bat pour la trans­pa­rence ?

Il se trouve que j’ai pro­ba­ble­ment au­tant d’amis dans le monde mé­di­cal que dans le monde phar­ma­ceu­tique, c’en est pro­ba­ble­ment l’ex­pli­ca­tion. Mais je ne suis pas une ex­cep­tion cultu­relle.

« Les dé­penses de
Lu­cen­tis re­pré­sentent
10 000 postes
d’in­fir­miers. »

Je me suis as­so­cié à la dé­marche d’Irène Fra­chon car nous avons tous fait le ser­ment, à l’aube de notre exer­cice pro­fes­sion­nel, de dé­fendre les pa­tients. Or l’at­ti­tude ar­ro­gante de Ser­vier est in­ac­cep­table. En 2010, quand l’af­faire Me­dia­tor a éclaté, j’étais pré­sident de l’Aca­dé­mie na­tio­nale de phar­ma­cie ; j’ai at­tendu la pu­bli­ca­tion du rap­port de l’Ins­pec­tion gé­né­rale des af­faires so­ciales (Igas) le 15 jan­vier 2011 pour de­man­der la sus­pen­sion de Jacques Ser­vier de sa qua­lité de membre as­so­cié de l’Aca­dé­mie. On m’a ri au nez. Nombre de ses col­la­bo­ra­teurs ou proches en étaient éga­le­ment membres. Je me sou­viens en par­ti­cu­lier de l’un d’eux qui se van­tait d’avoir trois bu­reaux : un à l’Agence du mé­di­ca­ment (ANSM), un à la fa­culté… et un chez Ser­vier. Et ce, alors même que le Leem (Les En­tre­prises du mé­di­ca­ment) avait cou­ra­geu­se­ment ex­clu les la­bo­ra­toires Ser­vier dès le 17 jan­vier.Autre « af­faire » dans la­quelle vous vous êtes im­pli­qué : le cas Lu­cen­tis/Avas­tin. En­core une consé­quence de l’in­fluence des in­dus­triels, se­lon vous ?

Quand une telle in­tri­ca­tion d’in­té­rêts existe entre les so­cié­tés sa­vantes – d’oph­tal­mo­lo­gie, en l’oc­cur­rence – et les as­so­cia­tions de pa­tients où tout est fi­nancé par les in­dus­triels, il faut se rendre à l’évi­dence : les dé­ci­sions ne peuvent plus être in­dé­pen­dantes et les conni­vences se mettent en place. Il suf­fit d’al­ler consul­ter les sites de ces ins­ti­tu­tions pour s’en rendre compte.

Que s’est-il passé en 2012 quand la di­rec­tion gé­né­rale de la santé (DGS) a in­ter­dit de pra­ti­quer des in­jec­tions in­tra­vi­tréennes d’Avas­tin ?

Elle seule peut le dire, mais l’in­dus­trie a évi­dem­ment fait pres­sion. Et ce, alors qu’au même mo­ment, le mi­nis­tère de la Santé fi­nan­çait une étude cli­nique du nom de GE­FAL qui a dé­mon­tré l’équi­va­lence d’Avas­tin et Lu­cen­tis. Des don­nées sup­plé­men­taires ont été ap­por­tées par les études CATT, pu­bliée dans le New En­gland Jour­nal of Me­di­cine – qui n’est tout de même pas une pe­tite pu­bli­ca­tion ré­gio­nale –, ou IVAN. Si ce ne sont pas là des preuves, à quoi les es­sais cli­niques servent-ils ? J’ai posé la ques­tion à la mi­nistre, elle ne m’a ja­mais ré­pondu. Après l’in­ter­dic­tion de 2012, je suis allé voir le di­rec­teur gé­né­ral de l’ANSM qui m’a dit : « Je n’ai été pré­venu ni par le ca­bi­net de la mi­nistre ni par la DGS. » Quand de telles dé­ci­sions sont prises, on se dit qu’elles de­vraient fa­vo­ri­ser la sé­cu­rité des pa­tients ou une meilleure uti­li­sa­tion des de­niers pu­blics. Pas cette fois.

La re­com­man­da­tion tem­po­raire d’uti­li­sa­tion (RTU) per­met­tant la dé­li­vrance d’Avas­tin dans la dé­gé­né­res­cence ma­cu­laire liée à l’âge (DMLA) va-t-elle ar­ran­ger les choses ?

Oui, mais par­tiel­le­ment car elle ne concerne pas les pres­crip­tions ef­fec­tuées en ville. En 2013, le Lu­cen­tis a été le pre­mier mé­di­ca­ment rem­boursé par l’As­su­rance ma­la­die : 438 mil­lions d’eu­ros. Cela re­pré­sente 10 000 em­plois d’in­fir­miers ! Quand, au­tre­fois, Ser­vier réus­sis­sait à ob­te­nir des prix deux fois su­pé­rieurs à la moyenne, il se dé­fen­dait par un chan­tage à l’em­ploi. On l’a cru pen­dant trente ans mais concer­nant Avas­tin/Lu­cen­tis, je pose la ques­tion : les pou­voirs pu­blics fran­çais sont-ils man­da­tés pour fa­vo­ri­ser les ac­tion­naires de No­var­tis et Roche ? Les consciences doivent se ré­veiller.

Dans le même ordre d’idée, dans le livre La Vé­rité sur vos mé­di­ca­ments, vous re­gret­tez que le pa­ra­cé­ta­mol ne soit pas sub­sti­tuable. Vous prô­nez même une baisse dras­tique des prix des gé­né­riques…

Il est in­com­pré­hen­sible que cette mo­lé­cule pré­sente dans toutes les ar­moires à phar­ma­cie de France ne soit pas ins­crite au Ré­per­toire. La mo­lé­cule la plus fa­ci­le­ment sub­sti­tuable est celle qui l’est le moins ! Quel dom­mage que les pou­voirs pu­blics n’ap­pliquent pas les règles qu’ils édictent eux-mêmes. Le pa­ra­cé­ta­mol – ma­tière pre­mière – coûte en­vi­ron 2 eu­ros le kilo à Shan­ghai et en­vi­ron 2 eu­ros la pla­quette de 8 grammes : une mul­ti­pli­ca­tion par 125 non jus­ti­fiée par des ef­forts de re­cherche ! Les éco­no­mies ne peuvent pas pro­ve­nir de la mise sur le mar­ché de « boîtes fa­mi­liales », le pa­ra­cé­ta­mol étant très hé­pa­to­toxique au-delà de 8 grammes par prise. Le prix des gé­né­riques est beau­coup moins élevé aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, il faut al­ler au bout de la po­li­tique du gé­né­rique en main­te­nant une marge conve­nable pour le phar­ma­cien. L’ob­jec­tif doit être le même sur les bio­si­mi­laires. Le mi­nis­tère de la Santé avance ac­tuel­le­ment des prix 20 à 30 % moins éle­vés que leur ré­fé­rent ; il faut al­ler à moins 50 % !

Un autre de vos com­bats est la ré­ha­bi­li­ta­tion de la vac­ci­na­tion. Trou­vez-vous dom­mage que les phar­ma­ciens n’aient pas été au­to­ri­sés à vac­ci­ner ?

On y vien­dra, le phar­ma­cien va connaître un rôle crois­sant dans l’or­ga­ni­sa­tion et la pro­mo­tion de la santé et dans l’édu­ca­tion thé­ra­peu­tique. La vac­ci­na­tion par le phar­ma­cien en est un élé­ment in­con­tour­nable. C’est déjà une réa­lité dans des pays com­pa­rables au nôtre, comme le Ca­nada, les États-Unis ou le Por­tu­gal. On vit dans une so­ciété de contra­dic­tions, avec des groupes de pres­sion qui s’érigent contre la vac­ci­na­tion alors que, entre autres exemples, la diph­té­rie qui tuait des di­zaines de mil­liers d’en­fants en France jusque dans les an­nées 1920 a au­jour­d’hui dis­paru dans notre pays. Ce­pen­dant, il ne faut pas bais­ser la garde car elle est ré­cem­ment ré­ap­pa­rue en Es­pagne et per­siste en Eu­rope de l’Est. Si les en­fants sont bien vac­ci­nés en France, c’est moins le cas des ado­les­cents et des adultes. Alors que des ligues dé­noncent la vac­ci­na­tion, pa­ra­doxa­le­ment on es­père la dé­cou­verte de nou­veaux vac­cins, comme ceux contre le sida, Ebola ou l’hé­pa­tite C. Même les craintes au­tour de l’alu­mi­nium ne de­vraient pas être de na­ture à re­mettre en cause la vac­ci­na­tion. Son in­té­rêt est tel que la ques­tion ne se pose pas. 

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